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Un article de Enigmes.

Partition Navigable


Marco Marini

Compte-rendu du workshop Enigmes du 25 au 30/09/06

Piège à Rêves : L’univers sonore et la création musicale

Les modalités

Une réflexion collective autour du nom « Piège à rêves » de l’interface de Maurin nous a conduits à imaginer ce que devraient être les modalités entre partition et interface, desquelles il serait possible de décliner par la suite un processus de composition. La métaphore implicite du titre nous a suggéré dès le départ un rapport dont les objets musicaux (le contenu) figureraient les rêves, et la partition (le contenant) le piège. Le concept de partition navigable offrant un objet hybride, mi-partition, mi-instrument, celle-ci devrait permettre la liberté d'interprétation d'un matériau sonore décidé au préalable et noté-fixé sur elle, à l’aide d’un instrument-interface sur lequel elle serait notée. Elle devrait spécifier tous les éléments et modes de jeu possibles de manière explicite pour l’interprète de lecture. Elle devrait être lisible et interprétable par absolument tout le monde et en toute subjectivité. Elle devrait également inviter l’observateur de l’œuvre graphique sérigraphiée sur la toile à devenir un interprète de lecture sonore des détails du tableau observé.

Le processus de composition

Une fois ces modalités posées, le processus de composition a consisté à élaborer un univers sonore et musical cohérent dont tous les éléments sont fixés, et donnant lieu à une partition ouverte, c’est à dire jouable au gré de l'interprète de lecture, sans prédétermination aucune quant au déroulement temporel des événements. Le début, les enchaînements, la fin, et le choix des objets musicaux sont à l’initiative de l'interprète de lecture. Toute interprétation doit donner un résultat musical qui soit en accord avec l'intention du compositeur, d'où la nécessité qui s’est imposée de cohérence du matériau d’une part, et d'importance de notions de couleur et d’univers sonore (du rêve) d’autre part. L’intention du compositeur se situerait principalement au niveau du choix sélectif des objets musicaux en veillant à ce que ceux-ci soient jouables simultanément et séparément de toutes les façons possibles. Un ensemble d’objets musicaux ayant une appartenance à une couleur générale, un univers commun, sons d’un seul et même instrument au service d’une unique partition, et non collection de samples destinés à un lecteur d’échantillons.

Le choix des matériaux

Il convenait tout d’abord d’avoir une variété de sons de différentes morphologies, allures, timbres et durées en nombre suffisant pour développer et entretenir un discours musical. L'interface de Maurin proposant un rapport de jeu gestuel et tactile, ces deux aspects pouvaient devenir des critères. De plus, ces sons seraient dessinés et auraient chacun leur représentation graphique sur la toile. Tout comme les notions de couleur, ces critères nous ont orienté dans la cohérence du choix des objets musicaux. D’une part vers des objets musicaux inspirant à l'écoute une gestuelle intuitive dont la dynamique est tracée par l'allure du son. Des sons bien dessinés dont la représentation graphique naît dans le geste (chutes, éparpillements, agitations, explosions, trajectoires, passages...). D’autre part, le rapport tactile avec le tissu a suggéré des critères de grain (objets granuleux, rugueux, élastiques, frottés, lisses…)

Nous avons estimé avoir besoin d’une trentaine de sons pour une partition. La partition actuelle contient 22 sons. (sur 23 sons choisis et taillés, un son a été écarté pour non cohérence avec l’ensemble).

La forme musicale

À ce stade se profilait la question de la forme musicale de la composition. Lors d’une séance d’écoute de l’ensemble des matériaux, Roland Cahen nous a fait la proposition de la forme figures sur fond car les objets lui suggéraient des figures. Cette proposition s’est révélée très pertinente car elle fournissait le liant en termes de couleur, d’univers sonore et d’épaisseur, par l’ajout d’un espace tramé. Aux 18 figures furent ajoutés 4 fonds. Ces fonds devaient pouvoir tourner en boucle dans des régions délimitées sur la toile et satisfaire à l’ensemble des figures. Ils pourraient également se superposer pour être joués simultanément. Un premier montage d’environ 5 minutes sur pro Tools a permis de vérifier la cohérence d’univers des 18 figures et des 4 fonds. Ce montage donne également une idée d’une interprétation possible de la partition. Celle-ci s’est révélée homogène et en accord avec les postulats de départ.

La partition

La partition a posé d’emblée le problème de l’échelle temporelle à adopter pour permettre la lecture des signes notés. Au stade d’aujourd’hui, l ‘échelle temporelle est celle méso, c’est-à-dire celle de l’articulation des objets. Toucher un objet déclanche sa lecture au début du son. Cette échelle peut être réduite à « déclanche sa lecture à l’endroit du son ». Mais il est imaginable de réduire cette échelle à celle micro afin de lire les échantillons comme une tête de lecture. La représentation graphique des objets sur la partition répond à des critères d'allure, de morphologie, et de durée et indique leur positionnement sur la partition. Ce positionnement n'est pas temporel, mais physique. Il indique à l'interprète où se trouvent les objets musicaux (figures et fonds) sur le support-partition sans lui indiquer quand les jouer, ni dans quel ordre. La représentation horizontale fournit l’indication de la durée du son. Le comportement vertical, des indications de hauteur ou tessitures. L’épaisseur du trait, des indications d’amplitude. La première version de la partition proposait une répartition verticale en 4 bandes, du grave (bas) à l’aigu (haut) en passant par bas médium et haut médium. Ces quatre bandes permettaient de disposer verticalement les objets sonores en fonction de leur tessiture. La version actuelle a été réorganisée pour des raisons graphiques. La question reste ouverte quant à l’importance de cette répartition spectrale. Chaque son s’est vu attribuer un nom sensé indiquer sa nature. Nous avons imaginé à un moment faire figurer ces noms sur la toile.

La question de la partition finale et/ou idéale de cet objet demande encore beaucoup d’ajustements à propos des questions relatives: - au graphisme (taille des objets, positionnement, nuances, couleurs, calligraphie …) ; - aux possibilités d’interprétation et modes de jeu (déclanchements divers, roll-over, lecture à l’envers, dynamique, variations de hauteur…) en regard des programmations que cela nécessite - aux signes à imaginer afin de développer le discours musical (clusters, simultanéités, accords de 2 à 4 fonds…). Cette étape demandera encore des concertations entre les aspects musicaux, graphiques et programmatiques avant d’arriver à une partition qui prenne en compte tous les aspects concernant critères de sons et modes de jeux et l’indique de manière explicite sur la toile. Il conviendra au final de définir le degré d’écriture de la partition (entre autoritaire et laxiste) et de distinguer les indications précises qui y seront notées.

Marco Marini